J’ai longtemps été propriétaire d’un vagin en colère. Un vagin qui dit fuck you à tout ce qui voudrait s’en approcher. Même avec les meilleures intentions et toute la douceur du monde. Un vagin fru. Tellement fru, qu’il s’est révolté. Parce que la maternité l’avait déçu. Que sa rencontre avec la vie l’avait un peu brisé. Mais surtout, parce qu’on l’avait violenté, puis réduit au silence. Parce que sa douleur n’avait pas été vue, ni reconnue. Parce que son vécu était le résultat d’un protocole banal, d’une normalité qui tapisse les livres de médecine depuis toujours.
Ton accouchement, ça s’est bien passé? Oui-oui. Mais non.
Révision utérine, un terme propre et froid. Rien de grave, madame. On a tiré sur le cordon. Le placenta est resté dedans. Je n’avais pas lu ça dans les livres d’Isabelle Brabant. Le bras ganté qui plonge et replonge en toi, jusqu’au coude, pour gratter la moindre parcelle de résidu placentaire tout au fond de ton utérus endolori. Un geste mécanique. Une pratique usuelle. Dans l’instant qui suit l’expulsion, les yeux mi-clos, la douleur n’existe plus, j’ai enduré sans dire un mot, épuisée.
Ont suivi deux autres accouchements. Un en milieu hospitalier, l’autre avec une sage-femme. Et c’est seulement ensuite que j’ai compris. Que le corps garde en mémoire la violence des protocoles et le silence qu’on lui impose. Que le cœur garde imprimé la vive sensation de brûlure de n’être qu’une statistique, une convention médicale, une procédure de routine. Et que la vie – la mise au monde – exigeant l’ouverture de ce passage, ne saurait se passer d’écoute, de douceur, de respect et de bienveillance.
C’est en étant suivie par une sage-femme, lors de ma troisième grossesse, que j’ai compris qu’il était normal que je ressente une intrusion à chaque toucher vaginal, froid et parfois brutal. Que toutes les prescriptions de suivi serré, de tests (diabète, trisomie, maladies génétiques) étaient accompagnées de questions insidieuses et de jugements à peine voilés sur mon mode de vie. L’attitude du corps médical envers le mien était d’une condescendance sans nom. En discutant avec d’autres, j’ai entendu que c’était la norme. Cette attitude n’a rien de normal. Tout mon corps le criait haut et fort, mais dans ma tête c’était plus compliqué.
C’est une sage-femme qui m’a fait réaliser que j’avais le droit d’exiger qu’on me touche en douceur – et même, qu’on ne me touche pas du tout. Que mon corps n’est pas un cas scientifique et encore moins une statistique, mais le vaisseau d’une vie infiniment forte et fragile à la fois. La douceur et l’écoute apportent la confiance. Cette confiance a été la source qui a fait ouvrir le col de mon utérus, pour laisser passer la vie. Ces sentiments de maîtrise et d’abandon sont fondamentaux et doivent être compris par le monde hospitalier.
La naissance n’est pas un acte médical. C’est un événement millénaire, qui n’a pas sa place – à moins de complications – dans un hôpital où, il me semble, on a pour coutume de soigner les malades. C’est un moment unique, où chaque humain devrait être enveloppé dans le plus grand respect de ses besoins et de l’intégrité de son corps. Quelque part dans l’histoire – pas si lointaine – on a occulté les réels besoins des personnes qui accouchent.
La violence obstétricale s’inscrit dans la culture du viol. La banalisation qui entoure l’interventionnisme médical, le silence de chacun·e, les blessures qu’on dissimule sous l’euphorie de la naissance, la distance qui se crée dans l’incompréhension des corps et des cœurs qui ont souffert de donner la vie, sont autant de raisons de parler plus souvent et plus fort de nos vécus. Mais surtout, l’occasion de prendre conscience de notre souveraineté fondamentale, de lier cette expérience à la notion de consentement : sans oui, c’est non. Même quand j’accouche.
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