Dans quelques jours, je fêterai le premier anniversaire de ma fille. Avec cette date qui approche je ne peux m’empêcher de me remémorer ce moment magique que j’ai vécu. Un pur moment d’empowerment. Cette reprise de pouvoir sur mon corps, cette capacité physique mais – surtout – psychologique d’accoucher par voie naturelle ainsi que le sentiment de respect et d’écoute n’auraient pas été possibles sans le travail magnifique des docteur.e.s et des sages-femmes que j’ai côtoyés tout au long de ces 40 semaines. Contrairement à trop de femmes, j’ai eu la chance de ne pas vivre de violences obstétricales. J’ai été traitée comme une personne à part entière, une femme complètement en contrôle de son corps, de ses choix, et de ceux qui concernent son bébé tout neuf.
Je n’ai pas eu de place en maison de naissances, mais j’ai eu la chance d’avoir un suivi dans un CLSC où les docteur.e.s sont sensibilisé.e.s aux violences obstétricales et aux méthodes alternatives d’apaisement de la douleur lors des accouchements. L’équipe était affiliée à un hôpital travaillant en collaboration avec des sages-femmes. Je suis persuadée que c’est une des principales raisons pour laquelle j’ai pu vivre une grossesse et un accouchement qui me respectaient et qui me permettaient de faire mes choix de manière éclairée sans subir de jugement de la part du corps médical. Je vous raconte.
À dix semaines de grossesse, j’ai eu mon premier rendez-vous de suivi. J’arrive au CLSC, un homme m’appelle. ANGOISSE. J’ai toujours refusé d’avoir un homme gynéco, je ne voulais pas qu’un homme fasse mon suivi de grossesse. Mais, j’ai eu des bons commentaires sur ce docteur, et rendu à dix semaines de grossesse c’est difficile de trouver quelqu’un pour faire le suivi. (Allô l’austérité, les coupes et le manque de personnel dans les services publics*) Je rentre dans le bureau et coup de foudre au premier instant. Il se présente, me demande de nommer mes limites, mes attentes et entend ce que j’ai à dire. Le reste des 40 semaines à le côtoyer confirmeront mon coup de foudre. Jamais, il ne m’a jamais touchée sans préalablement me demander mon consentement. Et quand il devait vérifier « down there » il m’expliquait dans les moindres détails tout ce qu’il faisait. Il ne faisait d’examens vaginaux que si c’était nécessaire. Il me demandait toujours quand j’étais prête, utilisait un petit spéculum à ma demande et faisait ça le plus rapidement possible.
À 37 semaines de grossesse, je lisais les témoignages publiés durant la Semaine mondiale pour l’accouchement respecté (SMAR). Des témoignages troublants de violences obstétricales; des épisiotomies non consenties aux attouchements sexuels en passant par des interventions allant à l’encontre des choix des parents comme le « point du mari » (coudre un point supplémentaire pour resserrer l’entrée du vagin au-delà de son état initial), la vitamine K (injection de vitamine K administrée au bébé), etc. Et, cerise sur le sundae, j’apprenais en même temps que mon bébé était en siège. C’était la panique totale.
Le docteur m’a demandée d’aller le rejoindre à l’hôpital pour faire une échographie qui confirmera que bébé était bien en siège. À ce moment, j’ai été prise en charge par la section « grossesse à risque » de l’hôpital, ça faisait peur. Premier rendez-vous, une infirmière m’accueille, puis une sage-femme. On me parle, m’explique les alternatives, me rassure que c’est pas de ma faute, ce n’est pas parce que « j’ai pas assez fait la position du chat », puis la docteure arrive. Avec elles, on fait une écho pour déterminer les possibilités. Option 1, option 2, option 3, etc. À chaque option, elles me nomment les « pour » et les « contre » mais surtout me rassurent que ça reste mon choix et qu’elles m’accompagneront peu importe. Elles me laissent un temps seule pour réfléchir. On finit par planifier une tentative de version par manœuvre externe quatre jours plus tard qui ne fonctionnera pas. On se rassoit avec la docteure, toujours en me faisant sentir très à l’aise de faire mes propres choix, elle m’énumère les autres options. Césarienne, ou accouchement par voie vaginale. Elle m’explique encore tout les « pour » ou « contre » et me propose de me laisser du temps pour y réfléchir. On se reverra la semaine prochaine pour voir ce que je choisirai et voir si bébé E. n’aurait pas eu l’amabilité de se retourner les fesses.
Je suis du genre psycho-rigide et j’ai besoin de tout planifier. Je m’étais résignée à une césarienne, parce que ça m’angoissait trop l’accouchement par voie vaginale en siège, c’était mon choix. Mais, j’avais un petit doute. Alors, j’ai demandé à la docteure de planifier la césarienne pas avant la 40e semaine, au cas où. Et dans le cas d’un déclenchement naturel, je verrais ce que je veux faire. Ma césarienne était planifiée pour le 30 mai 2016. Je prends donc la semaine avant pour m’organiser, et profiter de mes derniers moments sans bébé. Samedi le 29 mai, mes eaux crèvent. Revirement de situation. Allô ma psycho-rigidité qui en prend un coup! Arrivée à l’hôpital, je suis accueillie par une infirmière et une sage-femme. On se jase. Je martèle que je veux une césarienne, j’ai peur. C’était pas le plan. La sage-femme et la docteure me rassurent, me disent que ça va bien, et me laissent un temps pour réfléchir puisque sur mon plan de naissance c’est inscrit que je veux essayer par voie naturelle si l’accouchement se déclenche naturellement.
Je continue de marteler que je veux la césarienne. Elles m’écoutent, m’entendent, me disent que c’est mon choix mais que je serais capable par voie naturelle si je le voulais. Comme mon col n’est ni dilaté ni effacé, elles me laissent encore environ deux heures pour réfléchir. On ne me met aucune pression pour faire un choix ou pour m’imposer un choix. Jamais elles ne m’ont mis de pression pour accoucher par césarienne ou par voie naturelle. Tout ce qu’elles me disaient c’est que c’était mon choix et que, peu importe, elles le respecteraient. On finit par me préparer et me monter à l’étage pour une césarienne. Papa va s’habiller pour la salle d’opération, et moi je vais dans la salle pour l’anesthésie. La docteure me redemande une dernière fois si je suis certaine de mon choix, qu’elle souhaite seulement que mes désirs soient respectés et me donne un dernier moment pour y réfléchir pendant que tout.es se préparent à l’anesthésie. Finalement, au moment où j’allais recevoir l’anesthésie je demande s’il est encore temps de changer d’idée. Je change d’idée, on me redescend à l’étage de maternité, papa ne comprenant rien de ce qui se passe, et on me donne une chambre super pour mon travail.
Pendant le travail, j’ai été entourée d’une sage-femme, d’une infirmière et d’une docteure. Elles se relayaient pour me faire des points de pression, me flatter les cheveux, me parler, me rassurer. Je n’ai jamais eu de pression pour prendre l’épidurale et je l’ai demandée finalement après huit heures de travail dilaté à 8.5 sans avancement. Au moment de la poussée finale, on m’a amenée dans une salle spéciale où il y avait de l’équipement pour réanimation, comme il arrive que les bébés soient plus faibles et en aient besoin. Encore à ce moment, entourée de toutes ces merveilleuses personnes, j’ai poussé, encouragée par toutes ces personnes. Elles réussissaient à trouver les mots pour me faire sentir forte, capable, en confiance sans me mettre de pression quelconque. Je me souviens ma dernière poussée, ça faisait 5 poussées que rien ne se passait et j’avais écrit sur mon plan que je pourrais envisager l’épisiotomie. Docteure W. m’a regardée entre deux poussées et m’a demandé si elle pouvait me faire une épisio vu que ça ne bougeait pas. Elle m’a même proposé, « on essaie encore 2-3 poussées et sinon, si tu veux je coupe pour aider le passage. » Ces mots, je m’en souviendrai toujours. Jusqu’au bout, mon consentement a été demandé et respecté.
Après la naissance de bébé, elles me l’ont mise direct sur le ventre, sans la laver, sans vitamine, comme je l’avais demandé. Chaque fois qu’elle voulait faire quelque chose à bébé, la peser etc., elles me demandaient si elles pouvaient le faire et si elles pouvaient la prendre ou la toucher. Non seulement mon consentement était respecté à tout moment concernant mon corps, mais j’avais le choix à tout moment de consentir ou pas aux manœuvres à faire sur bébé.
Je suis consciente que trop de femmes, sinon la majorité, vivent des violences obstétricales ici comme ailleurs. Que leur consentement n’est pas respecté. Je considère que cette absence de respect pour le consentement s’imbrique dans le culture du viol qui banalise et objectifie les corps des femmes, qui donne l’impression que leur corps ne sont que viande et propriété de tout.e.s. Le corps médical qui banalise les accouchements, qui ne respecte pas les désirs des futures mamans, qui agit sans leur consentement, ceci s’inscrit directement dans un système patriarcal qui refuse aux femmes leur autonomie et leur capacité d’agir.
Je persiste à dire que mon expérience d’empowerment pendant la grossesse et l’accouchement et les traitements respectueux et sans jugement ont été possibles grâce au travail des sages-femmes et à l’approche alternative que les docteur.e.s de l’hôpital ont adoptés.
Je reste persuadée que l’apport des sages-femmes et leur reconnaissance professionnelle par le personnel médical a fait en sorte que les docteur.e.s qui m’ont suivi étaient plus conscientisé et que leur approche n’était pas celle de personnel médical qui font des accouchements sans prendre en compte les personnes directement concernées. Persuadée qu’un travail multidisciplinaire harmonieux serait une des clés à l’intervention respectueuse lors de suivi de grossesse et d’accouchement. Il est temps que, tant dans la société qu’en obstétrique, le corps des femmes ne soient plus objectivé et pris en charge par tous et toutes. Et que les femmes soient considérées des êtres humains à part entière complètement aptes à prendre des décisions pour leur propre corps.
Je ne peux que souhaiter que d’autres hôpitaux et corps médicaux emboitent le pas et décident de travailler conjointement avec les sages-femmes au Québec afin que se transmette l’approche naturelle et alternative. Une approche dans laquelle la surmédicalisation n’est pas imposée mais où les méthodes de médecine alternative sont prônées. Une approche de travail conjoint entre docteur.e et sage-femme, une approche dans le consentement, l’écoute et le respect de nos limites, nos peurs, nos demandes, et surtout, nos choix.
*L’austérité et les coupes dans les services publics affectent directement les femmes pour en savoir plus vous pouvez lire « La privatisation du système de santé : une atteinte au droit à la santé et au droit à l’égalité des femmes » (http://www.rcentres.qc.ca/files/2008-privatisation-du-rss.pdf)
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