Je parle souvent de ma mère dans mon travail. Parce que c’est elle qui m’a ouvert la porte vers la périnatalité, parce qu’elle est forte et indépendante aussi. Parce que ma mère est la plus grande féministe que je connaisse, sans se proclamer féministe pour autant.
Elle m’a légué la responsabilité. Sans jamais m’avoir fait de speech, de grand monologue sur le sujet, elle m’a guidée par l’exemple. Elle est la seule responsable de son corps et de ce qui lui arrive. Elle comprend comment assumer les décisions sur sa santé et celle de sa famille. En portant une confiance dans le corps humain et en sa capacité à faire les bonnes choses, elle m’a donné l’exemple de ses propres accouchements, pour m’expliquer la force et la capacité du corps.
Accepter sa responsabilité, c’est comprendre celle de l’autre. En acceptant que personne ne peut me dire comment traiter mon propre corps ou prendre des décisions à ma place, l’inverse se doit d’être automatique. Les personnes qui accouchent ne doivent pas se plier aux demandes du système hospitalier car il n’est pas dans son droit d’imposer une façon de faire. L’équipe médicale peut offrir des conseils et de l’expertise, certes, mais la seule personne responsable, de la santé de l’enfant et de sa mère, reste la mère.
En déresponsabilisant les femmes et les personnes qui accouchent, nous leur inculquons qu’elles ne comprennent pas leur corps, qu’elles n’auraient pas su le faire sans supervision. De génération en génération, nous creusons un peu plus le fossé qui sépare l’instinct, la confiance, de la prise en charge médicalisée.
Demain, j’accompagne une cliente à son rendez-vous hebdomadaire chez son médecin pour l’aider à se négocier plus de temps avant d’avoir une césarienne programmée. Les cours prénataux du CLSC ne préparent pas à ce genre de discussion, surtout avec un.e médecin. La négociation fait maintenant partie des choses à faire pendant sa grossesse et son accouchement, à quand les cours de négociations périnatales?
Vouloir plus de temps avant de recevoir des médicaments, avant de crever les eaux, avant la césarienne, avant le déclenchement… En échange de Non-Stress-Test, de tracés, de monitoring, d’examens internes, de calculs et de statistiques. Les personnes qui accouchent essaient de repousser les ultimatums et il me semble que le corps médical continue de demander à ce que les corps fonctionnent comme des machines identiques, dans une chaine de production.
Lors de l’accouchement, il s’agit d’autant plus d’une négociation biaisée. La majorité du temps, elle s’opère avec une personne en contractions, qui n’est pas en mesure d’argumenter, d’être rationnelle ou même d’avoir les mêmes opinions que quelques heures plus tôt. Il est naïf de penser qu’un plan de naissance saura éviter plusieurs propositions de la péridurale, parfois, dès l’arrivée à l’hôpital.
Combien de fois j’ai entendu un.e médecin dire : je vais te laisser une heure de plus, mais si ça ne bouge pas, on va en césarienne.
BONJOUR LA PRESSION!
Les hormones ne travaillent pas efficacement sous la pression, sous la date limite. Elles ont besoin d’espace, de confiance et de paix pour faire leur travail.
La négociation prend tout un autre sens quand on le met dans un contexte financier lors de l’accouchement. Je fais du bénévolat avec Médecins du Monde, auprès des personnes enceintes qui n’ont pas accès à la RAMQ ou une assurance privée. Là, on démasque la grande arnaque derrière notre système de santé.
Une personne ne devrait pas avoir à négocier le prix de sa péridurale. Elle ne devrait pas avoir à signer une entente de paiement sur un bout de papier et les conjoint.e.s ne devraient pas avoir à donner leur monnaie pour qu’un.e anesthésiste accepte de faire une péridurale. Pourtant, j’en suis témoin.
Une chef anesthésiste en furie m’a déjà demandé qui était responsable pour cette femme enceinte.
Qui est responsable pour elle?
Mais ELLE!
Comment quelqu’un d’autre peut-il être responsable de son corps, ses besoins et son accouchement, qu’elle-même!?
L’anesthésiste voulait être payée après que son résident ait donné la péridurale gratuitement, devant six témoins. Les phrases se sont alors mises à couler de sa bouche en s’accrochant à son reste de rouge-à-lèvres en miette :
« Si elle n’est pas contente, on peut lui enlever, son épidurale. [sic]»
« Elle ne pourra pas partir d’ici avec son bébé si elle ne paye pas. »
« Il n’y a jamais rien de gratuit ici, jamais. »
« Si elle est battue, elle a juste à le dire, on va comprendre! »
Les yeux de ma cliente étaient exorbités et son travail s’est mis à ralentir. De la négociation de temps, à la négociation de paiement, nous sommes arrivés à la négociation devant la césarienne.
Il est radicalement important que les femmes et les personnes enceintes retrouvent cette autonomie, que la population en général, de la personne qui accouche aux conjoint.e.s, se libèrent du syndrome de la blouse blanche. Nous pouvons prendre le contrôle de notre accouchement, surtout quand on se rappelle qu’accoucher est un acte sexuel. Avec le mouvement #moiaussi, les femmes ont repris le contrôle de leur sexualité, elles dénonçent de plus en plus les agresseur.e.s, elles apprennent à dire non. Apprenons à le faire en milieu hospitalier aussi.
Je ne veux pas négocier sur la santé des femmes. Je ne veux pas mettre de l’eau dans mon vin pour accommoder un système plein de craques dans lesquelles des mères glissent.
Nous devons penser à ce que nous léguons à nos filles et nos fils, ceux qui auront à négocier plus tard. Assurons-nous de leur léguer ce que ma mère a su me donner, de la conviction et de la responsabilité.
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