Par Mariane Labrecque, étudiante à la maîtrise en service social, Université de Montréal
La version originale est parue dans la revue «Le Mouton Noir», le 17 juillet 2014 (http://www.moutonnoir.com/2014/07/la-violence-obstetricale/)
Selon le Regroupement Naissance Renaissance, «En Amérique du Nord, au 21e siècle, des milliers de femmes témoignent chaque année de souffrances et d’effets de violence vécus lors d’accouchements». En effet, le contexte social nord-américain de surmédicalisation des naissances expose, selon nous, les femmes à une violence systémique. En 2007, le Venezuela a été le premier pays à nommer ce phénomène dans un article de loi. La «violence obstétricale» n’est pas un terme qui est socialement reconnu au Québec, mais ce n’est pas parce que cette violence n’existe pas ici. Selon la définition vénézuélienne il s’agit de «l’appropriation du corps et du processus reproducteurs des femmes par les personnes qui travaillent dans le domaine de la santé, appropriation qui se manifeste sous les formes suivantes : traitement déshumanisé, abus d’administration de médicaments, et la conversion de processus naturels en processus pathologiques. Ceci entraîne pour les femmes une perte d’autonomie et la capacité à décider en toute liberté de ce qui concerne leur propre corps et sexualité, affectant négativement leur qualité de vie.»
Les pratiques obstétricales actuelles sont vécues comme de la violence par plusieurs femmes, et on en parle de plus en plus. Le magazine féministe « Planète F» signait récemment un excellent dossier« Bébés en santé, maman violentée? » On y dénonçait que « des pratiques obstétricales courantes dans les hôpitaux du Québec contreviennent aux guides de pratique des associations professionnelles, aux preuves scientifiques, au code de déontologie de la médecine, à l’éthique médicale, et même au Code civil ».
Par exemple, des interventions obstétricales pratiquées de façon routinière par le personnel du milieu de la santé peuvent être violentes, sans même que ce soit volontaire, ni conscient, de la part du personnel. Attardons-nous un instant à quelques interventions pratiquées de façon routinière. Saviez-vous que la pire position pour accoucher est sur le dos, en position dite «gynécologique» ? Pourtant, selon une enquête de l’Agence de la santé publique du Canada publiée en 2009, plus de 70 % des femmes québécoises vont accoucher les pieds dans les étriers. Pourtant, instinctivement, à moins d’être faible, fatiguée ou malade, une femme ne s’allongera que très rarement dans cette position. Selon plusieurs études, la position gynécologique est une position très inconfortable, douloureuse et qui allonge la durée du travail. La raison : elle affecte le débit sanguin dans l’utérus, ce qui peut mettre en danger le déroulement de l’accouchement. La position gynécologique réduit aussi l’intensité des contractions et gêne donc l’évolution du travail. Les positions debout et couchée sur le côté sont associées à une intensité et une efficacité supérieures des contractions. On se demande alors pourquoi cette position douloureuse a été systématisée dans le milieu médical. Des chercheurs avancent l’hypothèse selon laquelle la position couchée a été adoptée par le milieu médical tout simplement parce que c’est la position la plus confortable pour le personnel soignant et qu’elle facilite les interventions, telles que les touchers vaginaux, la pose du moniteur, l’insertion de soluté et autres.
Un autre exemple de pratique courante qui est contraire aux données scientifiques concerne les touchers vaginaux. Durant l’accouchement, de nombreuses personnes – médecins, résidents, nouveau personnel – vont généralement insérer leurs doigts dans le vagin de la femme en travail et ce, à de nombreuses reprises. Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé recommande de minimiser le plus possible les touchers vaginaux. Dans « Routine vaginal examinations for assessing progress of labour to improve outcomes for women and babies at term», les auteurs Downe, Gyte, Dahlen et Singata s’étonnent qu’une « intervention soit utilisée de façon aussi systématique sans aucune preuve de son efficacité, particulièrement considérant la nature “sensible” de la procédure pour les femmes qui la reçoivent et le potentiel de risques dans certaines circonstances, comme l’accouchement ». Si on ignore si la technique est efficace, on connaît en revanche très bien les effets néfastes : ralentissement ou arrêt de la progression du travail, risques accrus d’infections, risques de rupture accidentelle des membranes, inconfort, détresse psychologique.
Le monitorage foetal pose également problème. L’appareil utilisé est habituellement installé à la femme, avec pour objectif de surveiller le rythme cardiaque du bébé, et ce dès le début de son travail. Toutefois, il est démontré qu’il y a une incidence marquée de «fausse lecture» de l’appareil. Cette intervention a également pour effet de restreindre les femmes dans leurs mouvements. Or, la possibilité de se mouvoir est une des conditions essentielles au bon déroulement d’un accouchement physiologique. L’utilisation du moniteur est souvent l’excuse pour confiner les femmes au lit puisqu’une fois celui-ci installé, il n’est plus possible de bouger. Pourtant, depuis les années 1980, des études démontrent que « le travail peut être ralenti par la combinaison de l’inactivité et de l’anxiété générés par la pose de l’appareil, et ce ralentissement peut en conséquence mener à des interventions obstétricales pour accélérer le travail ». Selon un rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) publié en 2012, le monitoring foetal ne devrait pas être utilisé de façon systématique. Pourtant, la pratique persiste. Plusieurs autres interventions obstétricales telles que l’induction, l’épisiotomie, et d’autres encore posent problème. Il importe de se questionner face à l’utilisation de ses interventions, puisqu’elles ne sont pas anodines et peuvent être traumatisantes pour les mères et avoir un impact négatif sur l’expérience d’accouchement.
Si vous voulez plus d’information sur vos droits, l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) publie le dépliant «Grossesse et accouchement – Droits des femmes». On peut aussi contacter le Regroupement Naissance Renaissance (RNR), le Réseau québécois pour la santé des femmes (RQASF) ou le Groupe MAMAN pour obtenir plus d’information sur les droits reliés à l’accouchement et sur l’humanisation des naissances en général.
Description du projet de maîtrise de Mariane Labreque
J’effectue présentement une maîtrise de recherche en service social à l’UDM. Ce projet de recherche vise à documenter les expériences négatives des mères qui accouchent en milieu hospitalier, ainsi que d’en identifier les éléments qui ont contribué à en faire un évènement difficile. L’objectif sera également de déterminer, à travers l’expérience de ces femmes, si le milieu hospitalier est producteur d’un système qui favorise une violence systémique envers elles. Nous emprunterons l’explication suivante : «Structural violence is often embedded in longstanding “ubiquitous social structures, normalized by stable institutions and regular experience». La question de recherche est la suivante : Les expériences négatives d’accouchements en milieux hospitaliers, sont-elles symptomatiques d’une violence systémique?
Les objectifs spécifiques :
Déterminer les éléments qui peuvent s’apparenter à de la violence systémique dans l’expérience d’accouchements des femmes en milieu hospitalier.
Est-ce que les femmes perçoivent les évènements vécus comme de la violence ?
Bien que cet article ne fasse état que des violences qui sont représentées par les interventions obstétricales abusives, la violence obstétricale est un phénomène plus vaste, qui englobe le non-respect des droits de l’individu, l’absence de consentement éclairée, la violence verbale et la psychologique. Le fait que plusieurs femmes se sentent complètement annihilées lors de l’expérience de l’accouchement peut être un signe que des violences obstétricales ont eu lieu. Il est également important de mentionner que si cette recherche documente l’expérience de mères en milieu hospitalier, cela ne signifie pas que les maisons de naissances ou la pratique sage-femme sont exemptes de violences obstétricales.
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