Par le Groupe MAMAN, Mouvement pour l’autonomie dans la maternité et l’accouchement naturel (www.groupemaman.org)
En 20 ans d’existence, le Groupe MAMAN (GM) a été témoin de la légalisation et de la réglementation de la pratique sage-femme au Québec, une pratique qui évolue au fil des ans et qui n’est peut-être pas aussi « rose bonbon » que le veut la croyance populaire. À ainsi prendre le pouls de la population, le GM constate des écarts importants dans la pratique sage-femme telle qu’elle se présente aujourd’hui.
En effet, les règlements relatifs aux consultations et aux transferts de responsabilité clinique portent atteinte à l’autonomie professionnelle de la sage-femme ainsi qu’à l’exercice de son jugement clinique. Certaines dispositions obligeant à un transfert ou à une consultation apparaissent trop strictes. Par exemple, l’établissement de balises précises sur le terme de la gestation nie la capacité de la sage-femme à exercer son jugement clinique afin de déceler une situation préoccupante. Pire, on assiste à l’émergence d’un nouveau syndrome propre aux clientes des sages-femmes : le stress induit par le risque de devoir accoucher à l’hôpital si la femme n’a pas dépassé le cap des 37 semaines suivi de la crainte de dépasser 42 semaines. Cette situation amène des femmes à avoir recours à certaines interventions pour provoquer l’accouchement à l’approche de l’échéance fatidique. On sait pourtant que bien d’autres signes permettent d’évaluer l’état du bébé, outre le nombre de semaines de gestation.
On constate également une perte déplorable de certaines des habiletés acquises par les sages-femmes et une restriction de leur droit d’exercer. Par exemple, dans le cas d’un accouchement autre qu’avec une présentation du vertex, certains gestes davantage respectueux de la physiologie ne peuvent plus être posés, si ce n’est dans des situations ironiques où la sage-femme conseille le médecin à qui elle a dû transférer sa responsabilité clinique. De plus, trop de situations excluent les femmes et les couples de l’accès aux services d’une sage-femme comme le fait d’attendre des jumeaux.
D’ailleurs, le principe de continuité de la pratique sage-femme est compromis dans les situations où il serait particulièrement important de le préserver. L’approche des sages-femmes est globale et s’intéresse au couple, à la famille, aux aspects physiques, mais aussi aux aspects psychologiques liés au fait de devenir parents. Ainsi, une femme qui a établi une bonne relation avec sa sage-femme et qui voit sa grossesse s’écarter de la norme en cours de route doit être transférée à la responsabilité d’un médecin, alors que c’est précisément à ce moment qu’elle aurait probablement eu le plus besoin de poursuivre cette relation; le système « se désiste » et n’assume pas la poursuite d’un suivi global avec la sage-femme en laissant au médecin le suivi médical qu’une situation potentiellement pathologique nécessite.
Le développement de la pratique soulève également des inquiétudes quant à l’approche des sages-femmes en elle-même. En effet, on entend malheureusement certains témoignages d’expériences vécues dans les maisons de naissance, des histoires tristes en discordance avec la philosophie des sages-femmes, laquelle implique un rapport égalitaire. Voici à ce propos le témoignage d’une usagère du service de sage-femme paru dans notre publication annuelle, le MAMANzine :
« Ceci m’amène à parler d’un incident malheureux où une sage-femme a été très offensée que mon conjoint la corrige alors qu’elle avait tort sur un point. […] Elle a agi comme s’il était inacceptable qu’on remette en question ce qu’elle disait. Cela m’a beaucoup rappelé l’attitude que l’on reproche à certains médecins : “c’est moi l’expert, c’est moi qui sais; que personne n’ose me contredire”. Les sages-femmes ne souhaitent-elles pas des relations égalitaires avec leurs clientes et clients? Je ne sais pas si cette attitude est répandue ou si nous avons seulement été malchanceux, mais je dis qu’il faut faire attention. Je dis qu’il faut faire attention, car les sages-femmes ont maintenant le gros bout du bâton par rapport à leurs clientes et clients. Au temps des projets pilotes, il était très important pour les sages-femmes que leurs clientes et clients soient satisfaits : l’avenir des maisons de naissance et de la pratique sage-femme en dépendait. Maintenant, les maisons de naissance sont bien établies, les listes d’attente sont immenses… est-ce toujours aussi important que les clientes et clients soient satisfaits? Sont-ils toujours aussi précieux et uniques? Il y en a des centaines qui attendent à la porte! Les femmes qui n’ont connu les maisons de naissance que récemment seront peut-être très satisfaites de leur expérience, faute de connaître autre chose, ou parce qu’elles ont eu la chance d’éviter certains des problèmes que j’ai rencontrés. Je suis consciente qu’une part de hasard fait toujours partie de l’aventure, mais moi qui ai connu deux expériences très différentes à douze ans d’intervalle, je vois clairement une détérioration et je ne crois pas qu’elle ne soit due qu’au hasard. Moi qui ai goûté à ce que peut être un bel accouchement avec une sage-femme, et qui suis tellement convaincue de l’importance de cette expérience dans la vie d’une femme, je serais terriblement attristée si l’institutionnalisation enlevait à la profession de sage-femme ce qu’elle a de meilleur. »[1]
Par conséquent, le Groupe MAMAN veut rappeler à la population de maintenir une vigilance envers tous les acteurs de la périnatalité afin que la grossesse et l’accouchement demeurent des expériences appartenant en totalité aux femmes et aux familles.
[1] LANDRY, Renée. « Inquiétudes et déception »; MAMANzine, volume 13, numéro 1, septembre 2011, p. 13-14.
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